transfer édition 01 | 2022

Une question de langage

Les centrales Oberhasli à la reconquête de la jeune génération

Les centrales Oberhasli (KWO) dans l’Oberland bernois (CH) produisent 2'200 à 2'300 gigawattheures de courant vert par an depuis leur 13 centrales hydrauliques. Grâce à leur atelier de révision, elles se chargent aussi du développement d’installations complètes ainsi que de leurs différents composants pour d’autres exploitants de centrales suisses. Le Directeur général Daniel Fischlin est pleinement conscient de l’énorme quantité de connaissances qui s’est accumulée au fil des années au sein de son organisation. Afin de la mettre à disposition des générations futures, il a besoin de méthodes durables. Il en a déjà quelques-unes à nous présenter.

Un monde en transition

Les KWO ont pour objectif de conserver les connaissances liées aux centrales suisses et de poursuivre leur développement grâce aux outils numériques. Pour Daniel Fischlin, aussi bien la transition technologique que les changements sociaux posent de vrais défis. La majorité des machines du groupe de centrales ont plus de 50 ans et ont été modernisées ainsi que numérisées par les KWO. « Lors des révisions générales et des autres travaux de remise en état, nous nous sommes toujours efforcés de faire comprendre à nos employés la philosophie de construction qui régnait à l’époque », souligne le Directeur général. L’appartenance à l’entreprise de nos jours est nettement plus courte, de sorte que les employés ne procédèrent jamais à de telles révisions. C’est pourquoi il est essentiel de conserver les connaissances acquises et de les rendre disponibles au sein du groupe KWO. Daniel Fischlin en est pleinement conscient : « Afin de pouvoir continuer à se référer à ces connaissances, nous devons communiquer dans un langage qui parle à la jeune génération ». Pour ce faire il est indispensable de prendre en compte la transition technologique et de motiver les employés plus expérimentés à faire appel aux outils numériques.

La médiation : un pont intergénérationnel

Parler le même langage ne s’arrête pas au seul domaine technique. La génération ‹ intermédiaire ›, soit la tranche des 40 et 50 ans est quasiment inexistante dans les exploitations en raison des faibles constructions réalisées au cours de ces dernières décennies. L’expérience doit ainsi pouvoir passer plusieurs générations. « Les interactions complexes que l’on retrouve au sein de notre groupe de centrales ne se décrivent pas dans des manuels. Nous dépendons ici clairement des expériences accumulées », pointe le directeur. Cependant lors de ce passage, la différence d’âge peut poser quelques difficultés : « Lorsqu’un jeune arrive, il ne sait peut-être pas ce qu’il devrait savoir et par conséquence n’a pas conscience de ce qu’il doit demander. De plus, il n’osera peut-être pas poser de questions. Dans le même temps, un employé expérimenté connaît quasiment tout par cœur mais ne parvient pas toujours à l’expliquer. Il peut en outre être maladroit dans sa communication. » Même si quelqu’un partage volontiers ses connaissances, il peut échouer lors d’un dialogue direct.

C’est pourquoi Fischlin mise sur un échange régulier entre les générations. Ce dernier est alors animé par une médiatrice externe s’appuyant sur une expérience journalistique. Au cours de ces entretiens, les employés expérimentés partagent leurs vastes connaissances accumulées au cours des dernières décennies avec leurs jeunes collègues. « Une médiatrice dotée d’une habilité psychologique et étrangère au secteur anime les entretiens avec beaucoup de charme. Cela permet de trouver des explications simples et de mettre tout le monde sur une même longueur d’onde », raconte Fischlin. Une telle personne parvient à passer outre les barrières des jeunes collègues qu’elle découvre tout en ramenant les réponses des collègues expérimentés dans leur vrai contexte.

Un accompagnement des projets

Une fois qu’un climat de confiance règne entre les participants, le transfert de connaissances non guidé peut débuter. Le ‹ tableau de bord technologique de la centrale › regroupe des responsables expérimentés de centrales ou de secteurs qui offrent leurs conseils aux jeunes collègues lors des projets. Les jeunes peuvent spontanément contacter les experts et leur demander de les assister. Il s’agit ici d’une sorte de réseau de sécurité destiné à la jeune génération : « Nous accueillons de nouveaux membres dans nos équipes qui viennent de secteurs complètement différents. Il est essentiel que nous les rassurions dès le départ, par exemple lorsqu’il s’agit de retirer avec une grue, un rotor de 100 tonnes qui ne dispose que d’un espace de 10 millimètres. » Les employés expérimentés seraient ici nettement plus sereins pour résoudre ce problème auprès des jeunes employés qui hésiteraient encore. Ils leurs apporteraient le calme nécessaire.

Le Directeur général a constaté que les employés expérimentés partagent volontiers leurs connaissances lorsque l’on parvient à leur montrer à quels points elles sont un trésor inestimable pour l’entreprise dont la perte serait fatale. « Nos employés en ont désormais pleinement conscience. Ils sont convaincus que cette voie est la bonne, et de plus en plus de personnes se proposent pour partager leur savoir », se réjouit Daniel Fischlin.

« Si nous parvenons à transmettre aux employés, que leur expérience est un trésor inestimable, dont une entreprise ne peut se passer, ils partagent alors volontiers leurs connaissances. »

 

Daniel Fischlin, Directeur général de l’entreprise Kraftwerke Oberhasli AG

La génération YouTube

Outres les entretiens personnels, Fischlin découvrit dans le monde vidéo une parfaite opportunité pour documenter durablement le savoir des employés de longue date de l’entreprise. Les KWO parlent ici aussi le langage de la jeune génération : « Nous avons des collègues qui filment eux-mêmes les étapes de leur travail et procèdent ensuite seuls au montage des différentes séquences vidéo. » Il est bien plus simple de regarder une vidéo que de lire un manuel, commente le Directeur général. Les KWO souhaitent mettre les différentes séquences à disposition sur une plateforme interne et les associer directement à leur système d’identification des centrales.

Les vidéos aident aussi à gagner de nouveaux employés. « Selon moi, les médias sociaux représentent la meilleure des possibilités afin d’éveiller l’intérêt vers notre secteur d’activité. » Les KWO créèrent ainsi un service de permanence spécialement dédié aux médias sociaux. Daniel Fischlin laissa former deux employés du service de communication médiatique au sein d’une école supérieure. « Lorsque nos collègue publient leurs vidéos, ils transmettent toute leur fierté envers leur métier. Et les jeunes personnes découvrent à quel point ces jobs sont ‹ cool ›. »

De plus les KWO forment des stagiaires en écologie et engagent temporairement des cyber soldats issus de l’Armée suisse. Daniel Fischlin crée ainsi un réseau afin de gagner en visibilité auprès de nouveaux travailleurs. Il débuta en outre avant la pandémie de Corona, à miser de plus en plus sur le télétravail : « Cette mesure offre un énorme potentiel pour les employé(e)s expérimenté(e)s chargé(e)s de famille qui cherchent à reprendre leur activité professionnelle sans pour autant travailler à temps plein. »

Des connaissances au service d’un secteur

Afin de converser le savoir-faire en Suisse et de le développer, Daniel Fischlin fit de nombreux investissements. « Nous avons avant tout investi dans les technologies informatiques. Ils se rentabiliseront sans aucun doute par la suite – j’en suis pleinement convaincu. » Le Directeur souhaite ultérieurement proposer les connaissances mises à disposition et documentées au cours de formations spéciales dédiées aux centrales hydrauliques : « Nous avons l’expérience, les centrales et un atelier. Il existe toujours quelque chose à réparer sur une machine. À l’aide des documents de formation, nous disposons ici d’une association idéale afin de partager notre savoir. » Les hôtels à proximité permettent en outre aux intéressés de passer sans problème un mois au sein de la centrale tout en profitant d’un magnifique cadre géographique.

Crédit photo : David Birri