Une exploitation responsable
Objectifs visés pour des eaux à l’état naturel
Une exploitation globale des systèmes d’épuration qui dépasse le cadre des différentes entités, est un vrai défi. Une vision globale offrirait cependant de toutes nouvelles chances pour la protection des cours d’eau. Nous nous sommes entretenus avec Hans Balmer, inspecteur de la protection des eaux dans le service pour les déchets, l’eau, l’énergie et l’air (AWEL) du canton de Zurich.

Monsieur Balmer, le passage d’une exploitation orientée vers les émissions à une exploitation orientée vers les infiltrations implique un changement de philosophie. Comment voyez-vous cela ?
Je ne pense pas que l’on peut parler d’un changement de philosophie. Nous avons toujours pris en compte les émissions et les infiltrations. Notre législation sur la protection des cours d’eau le définit clairement : des cours d’eau naturels. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous contenter de respecter une valeur limite précise. Nous devons l’aborder sous différents angles. Je plaide donc activement pour le changement de vision : prendre en compte l’ensemble du système plutôt que de se limiter à chaque entité. Ainsi je tiens compte des émissions et des infiltrations en gardant en vue l’état recherché.
« Dans l’exploitation des eaux usées, l’objectif doit évoluer d’une analyse par entité vers une vision globale du système. »
Mais comment décrire précisément ces valeurs cibles ?
Bien sûr les eaux usées qui partent des STEP doivent respecter les émissions polluantes limites. Afin de réduire les infiltrations de ces dernières dans les cours d’eau, nous devons donc limiter les substances polluantes et éventuellement rabaisser la valeur des émissions. Le tout vise en fin de compte à respecter la pollution limite. Je parlerais ici d’une « vision classique ». Chose qui reste largement faisable lors d’une vérification approfondie au niveau de la STEP. Seulement : des eaux mixtes s’écoulent aussi dans les cours d’eau depuis les surplus des eaux pluviales et des bassins pluviaux. De même, des eaux plus ou moins polluées se déversent depuis les rejets des eaux usées pluviales des agglomérations ainsi que depuis les drainages agricoles. Il n’existe néanmoins aucune limite précise pour ces dernières, car les infiltrations déterminées aux différents points de déversement sont largement limitées.
Le résultat total varie en outre fortement en fonction des cours d’eau. Si j’observe uniquement les infiltrations, cela implique de chercher des cours d’eau suffisamment grands et par conséquents solides afin de pouvoir déverser une quantité plus importante : chose contraire à l’objectif initial. Il est question ici avant tout de prévention. L’objectif reste donc de déverser le moins possible, et ce partout.
Vous voulez dire que la définition de limites rigides pour l’exploitation des bassins pluviaux n’est pas pertinente ?
Je ne dirais pas cela. À l’heure actuelle, nous parlons au sein de l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux (VSA), d'observer la pollution à la fois dans les différents ouvrages de déversement ainsi que dans les sections des cours d’eau où plusieurs déversements d’eaux usées mixtes s’écoulent. Dans l’idéal, de telles visions globales se produisent dans le cadre du plan général d’évacuation des eaux (PGEE). Ainsi il ne suffit plus de définir la quantité d’eaux usées à assainir et à déverser, mais aussi les émissions polluantes en tenant compte des micro-impuretés.
En se référant aux déversements des eaux usées mixtes, la directive de la VSA va ainsi définir des exigences minimales quant aux émissions dans le cadre de l’exploitation des eaux usées lors de précipitations.* Le déversement dans les cours d’eau devra se limiter à 2% maximum de l’ammoniaque contenue dans les eaux usées ou à 1,5% des matières totales en suspension (MES). À cela viennent s’ajouter une évaluation et une limitation simplifiées des infiltrations qui prennent en compte les charges polluantes par rapport au débit moyen des cours d’eau. La directive mise à jour devrait paraître en 2018.
« L’ébauche actuelle de la nouvelle directive sur la gestion des eaux pluviales prévoit désormais la prise en compte, non seulement des quantités d’eaux usées, mais aussi des substances transportées lors des déversements d’eaux usées mixtes. »
Quels défis se dessinent afin de mettre en place cette dernière ?
La grande inconnue dont tout le monde parle ces dernières années, reste la vision globale du déversement des eaux usées. Il s’agit ici par exemple, d’optimiser l’exploitation des bassins pluviaux. Mais souvent les communes qui certes exploitent des bassins pluviaux, ne disposent d’aucune donnée sur leur fonctionnement et leur mode de déversement. Dans de rares cas, on mesure le niveau dans le bassin et encore plus rarement, on surveille la quantité transportée vers la STEP. Seulement : si on réfléchit à augmenter les volumes des bassins, il devient essentiel de connaître les relations entre les volumes des bassins et les quantités transférées. Plutôt que d’augmenter le volume du bassin, chose au passage souvent très coûteuse, il suffirait parfois d’augmenter le débit et d’investir l’argent économisé dans l’optimisation du système et/ou dans la revitalisation des cours d’eau. Dans les deux cas, notre action serait des plus bénéfiques pour la protection des cours d’eau.
Une chose que je ne rencontre jamais, est la signalisation dans le système de conduite de la station d’épuration, par exemple des niveaux critiques dans les bassins. Ainsi l’exploitant ne sait souvent pas si son installation fonctionne correctement. Cela est déjà arrivé qu’un bassin bouché reste plein pendant 14 jours en pleine sécheresse, et que les eaux usées se déversent dans les cours d’eau sans que personne ne s’en aperçoive : chose qui ne peut et ne doit en aucun cas se produire ! Comparé aux coûts totaux de l’investissement pour un bassin pluvial, le coût pour installer un système de mesure de l’eau ainsi que transmettre les mesures au système de conduite de la STEP, est vraiment dérisoire.
L’art. 13 de LEaux, « Exploitation responsable », le décrit déjà depuis près de 20 ans : « Le détenteur d’une installation servant à l’évacuation et à l’épuration des eaux doit (...) prendre toutes les mesures d’exploitation proportionnées qui contribuent à réduire la quantité de substances à évacuer. » Il s’agit d’une mesure préventive. Dans la même logique : lorsqu’un bassin pluvial ne fonctionne pas, il ne s’agit plus d’une exploitation responsable.
Avec l’équipement minimum pour mesurer le niveau, nous ferions déjà un énorme pas en avant. Cependant la route vers cette sensibilisation reste encore longue. Et voilà ici toute la difficulté, car l’exploitation du bassin pluvial est prise en charge par une autre entité (le plus souvent les communes) que celle de la station d’épuration (le plus souvent par le regroupement des eaux usées). En plus, on ne s’intéresse trop souvent qu’aux stations d’épuration et non aux autres canalisations et bassins pluviaux qui sont enterrés.
À l’avenir, comment les exploitants pourraient-ils protéger les cours d’eau plus efficacement et plus économiquement avec leurs systèmes ?

En premier lieu, il faut prendre en compte l’intégralité du système, soit la zone de desserte, les canalisations, les bassins pluviaux, les stations d’épuration et les cours d’eau, en vue d’une collaboration beaucoup plus intensive entre les participants. Ensemble, ils pourraient planifier l’évacuation des eaux des biens-fonds. Regrouper tous les participants, est d’après moi, notre devoir en tant qu’administration. Prenons un exemple : les bassins pluviaux appartiennent souvent à différentes communes séparées et les STEP à un regroupement. Je vois souvent une commune raccordée être fière que son bassin pluvial ne se déverse jamais, alors qu’une autre commune du même regroupement, déverse régulièrement des eaux usées mixtes dans le cours d’eau. Nous pourrions y remédier avec une régulation du débit harmonisée : l’une des quantités transférées est légèrement réduite alors que l’autre augmente un peu. Nous optimiserions ici l’utilisation des infrastructures existantes sans pour autant augmenter la capacité. Mais à cette fin, encore faut-il communiquer.
Les coûts sont pourtant un dénominateur commun : si chacun essaie de résoudre son problème seul, cela revient en général beaucoup plus cher. Si au lieu de construire seul son bassin pluvial en fonction de son PGEE pour se conformer aux réglementations sur la pollution, les communes finançaient une solution commune optimisée à toute la zone couverte par la STEP, cela leur reviendrait nettement moins cher.
Les « directives » peuvent-elles vraiment être un moteur pour faire communiquer les contremaîtres et les directeurs des STEP ?
Les conditions de déversement pour les stations d’épuration sont réglementées. Les exigences envers les déversements des eaux usées mixtes ont été définies au cas par cas dans les cantons. On procédait jusqu’ici à un calcul standard qui n’est cependant pas précis : 20 m3 de volume d’un bassin par hectare de surface d’écoulement correspondent théoriquement à 30 déversements par an. Une fois cette exigence respectée, rien de plus n’était nécessaire.
Nous exigeons désormais qu’à chaque révision du PGEE, l’administration procède à une évaluation de l’ensemble du système. Le modèle hydraulique de l’écoulement des précipitations va être complété par les évaluations des charges polluantes comme le prévoit l’ébauche de la directive VSA sur la gestion des eaux usées lors de précipitations. Outre les modèles de calcul, un concept de mesure et de régulation pour l’ensemble de la zone desservie est essentiel. Il doit vérifier (calibrer) les modèles et contrôler leur bon fonctionnement, et, dans l’idéal, valider leur succès.
Il est ici intéressant de voir les optimisations possibles lorsque l’on prend en compte les canalisations et la station d’épuration. Une chose que nous avons démontrée dans le cadre d’une de nos études. Nous avons entre autres analysé ce qu’il se passe lorsqu’on alimente un peu plus la STEP en cas de pluie. Nous avons alors constaté la réduction de la pollution dans les bassins pluviaux mais son augmentation au niveau de la STEP. Cependant, lorsque la STEP était bien réglée et malgré la durée de rétention plus courte dans la STEP, les émissions totales étaient réduites.
Et pour finir : une chose clairement définie dans LEaux sous l’art. 10 : « Les cantons (...) s’assurent de l’exploitation rentable des stations (d’épuration) ». Ainsi le canton est en partie contraint de préserver les communes de faire de mauvais investissements.
Mais les coûts ne représentent qu’un revers de la médaille. Pour nous, il est surtout question de sensibiliser les participants afin qu’ils comprennent les relations dans le système de déversement des eaux usées et évaluent mieux les répercussions sur les cours d’eau.
D’après vous, quelles chances amènent une vision systématique ?
De savoir quel effet a telle ou telle mesure, est une chose qui reste toujours importante. De même, il est essentiel d’avoir un modèle pour le système qui montre les valeurs réglables. Je peux alors choisir la mesure la plus efficace pour l’objectif fixé. Par exemple, pour réduire la pollution lors des déversements des eaux usées mixtes, je choisis alors les mesures les mieux adaptées. On peut agrandir le bassin pluvial ou augmenter temporairement la quantité transférée, voire réduire l’apport en eau externe ou encore prévoir la percolation et réduire ainsi la surface efficace d’écoulement. Grâce aux solutions logicielles qui sont en partie disponibles gratuitement, nous sommes à même de simuler l’efficacité de toutes les mesures dans un modèle afin d'optimiser les investissements et les coûts d’exploitation.
Si l’exploitant installe en outre des technologies de mesure adaptées, il obtient des valeurs réelles grâce auxquelles il ajuste celles du modèle théorique qui servent à la construction d’un bassin pluvial. Chaque modèle comporte des incertitudes, c’est pourquoi les technologies de mesure ne servent pas uniquement à la surveillance mais aussi à la vérification du modèle. Et cela ne coûte pas grand-chose.
En résumé : quelle est votre vision ?
C’est certainement une vision future réaliste que de prévoir l’augmentation des données disponibles dans le système. Ces dernières pourront être analysées par des solutions logicielles adaptées et offrir une amélioration globale. Bien sûr, il est important d’enregistrer les données. Mais elles doivent dans le même temps être mises en relation. C’est le seul moyen d’évaluer leur plausibilité. Y’avait-il une erreur de mesure, un capteur défectueux ou cette valeur est-elle plausible ? Il faut donc que les fabricants proposent ici des produits adaptés.
Je pense qu’il est tout aussi impératif de tenir compte de la biosphère que de mettre en place des solutions techniques au combien nécessaires. Je tiens à souligner ici que l’objectif recherché est une biosphère naturelle dans les cours d’eau ainsi qu’une exploitation optimale des installations existantes. Cela n’est autre à mes yeux qu’une exploitation responsable. N’oublions pas les mesures à prendre à la source : si possible, il ne faudrait utiliser dans les agglomérations et l'agriculture, que des substances écologiques qui préservent les eaux.
La prise en compte des charges entrera définitivement dans l’ensemble des directives suisses ainsi que l’équipement minimal des installations avec des technologies de mesure adéquates. Il est avant tout question ici de prévention, chose qu’il ne faut pas oublier. Dans cet objectif, nous devons prendre des mesures proportionnées et non pas nous contenter de répondre aux exigences minimales.
Heureusement que dans les prochaines années, de nombreuses communes et nombreux regroupements d’assainissement devront revoir leur PGEE. Nous avons alors la chance de prendre contact personnellement avec tous les participants, de donner des recommandations en vue de comprendre voire de s’enthousiasmer pour la vision globale moderne du système. Je crois que cela est bien plus efficace que d’exiger des normes.
Autrement dit : trouver un moyen de passer d’une orientation aux normes à une orientation à l’objectif de cours d’eau naturels.
Monsieur Balmer, merci beaucoup pour cet entretien.
Cet entretien fait partie de la série d’interviews « Les eaux naturelles – actions possibles et chances futures ». Dans le cadre de cette série, nous nous sommes également entretenus avec Christian Güdel, directeur du secteur « Infrastructures » de l’évacuation des eaux de la ville de Winterthour ainsi qu’avec Markus Gresch, ingénieur en environnement et directeur de Hunziker Betatech AG.
Lisez ici l’interview avec Christian Güdel.
Lisez ici l’interview avec Dr Markus Gresch.
* La directive actuelle de la VSA sur l’évacuation des eaux pluviales (réglementation sur la percolation, la rétention et la déviation des eaux pluviales, mise à jour en 2008), la directive STORM de la VSA (déversements des eaux usées dans les cours d’eau lors de précipitations STORM, 2007), la directive de l’OFEV sur la protection des eaux lors de l'évacuation des eaux des voies de communication (2002) ainsi que d’autres publications de la VSA et de l’OFEV autour du sujet, sont actuellement mises à jour et regroupées sous la nouvelle directive de la VSA sur la gestion des eaux usées lors de précipitations.