transfer édition 02 | 2019

Réfléchir (plus) largement

Homme ⭢ Environnement ⭢ Eau ⭢ Environnement ⭢ Homme

En Suisse, l’eau potable est d’excellente qualité. Encore. Selon le Professeur Dr Urs von Gunten, nous devrions sérieusement réfléchir comment conserver la qualité habituelle de cette ressource précieuse. Il dirige le groupe autour de la « Chimie de l’eau portable » du service « Ressources en eau et eau potable » à l’Eawag, et occupe une chaire à l’Université ETH de Lausanne. Il est en outre membre de la commission principale de la Société Suisse de l’Industrie du Gaz et des Eaux (SSIGE). Nous nous sommes entretenus avec lui pour savoir comment les polluants environnementaux et changements climatiques, voire parfois la politique, défient les fournisseurs.

L’homme et ses traces

L’eau potable est un aliment auquel s’applique en Suisse, une réglementation stricte quant à son hygiène et à composition chimique. Les analyses montrent cependant de plus en plus souvent la présence de pesticides dans les eaux phréatiques dont la concentration dépasse la valeur maximale de 0,1 µg/l autorisée. Les plages d’analyse plus larges révèlent aussi la présence de métabolites, soit des dérivés des pesticides. Leur concentration était elle aussi élevée. Mais les débats autour de leur répercussion sur l’organisme ne sont pas clos. La directive européenne sur l’eau potable désigne néanmoins, les métabolites comme des pesticides lorsque leur action est identique à celle de la substance mère. Comme ces derniers sont à la fois polarisés et résistent à l’oxydation, ils ne se laissent pas suffisamment éliminer, ni avec du charbon actif, ni avec une procédure d’oxydation.

« Lorsque l’écosystème s’écrasera contre un mur, il ne s’en remettra pas d’ici tôt. »

Prof Dr Urs von Gunten, Dirigeant du groupe de travail « Chimie dans l’eau potable » du service « Ressources en eau et eau potable » à l’Eawag, et occupe une chaire à l’Université ETH de Lausanne

Une quantité quantifiable

L’agriculture intensive est principalement tenue comme responsable de la charge des eaux phréatiques en nitrate et en dérivés de pesticides. La pression croissante des zones habitées augmente en outre le risque pour les nappes phréatiques. Sur les autres voies de récupération, comme les eaux usées, la charge des polluants émane directement de produits issus des habitations.

L’Union européenne enregistre plus de 100 000 substances chimiques, dont environ 30 000 servent quotidiennement. À l’aide de procédés biologiques ou chimiques, ces derniers sont transformés dans la nature ou après de nombreux traitements comme lors de l’épuration des eaux usées. Afin d’évaluer l’étendue de cette diversité, il est nécessaire de mettre en place des méthodes automatisées : « C’est pourquoi nous développons à l’Eawag / ETH des systèmes informatisés permettant de prédire la transformation des éléments-traces dans les processus biologiques et chimiques », souligne Prof von Gunten à propos de la complexité du sujet.

L’eau, seulement une infime partie

Pour un grand nombre de substances présentes dans l’eau, on méconnaît encore les conséquences réelles sur l’organisme. C’est pourquoi il faut s’assurer d’une eau potable la plus pure possible. L’expert considère cependant les répercussions de nos habitudes de consommation beaucoup plus problématiques que celles des substances polluantes dans l’eau potable. Outre le danger lié au tabac et aux particules fines dans l’air, von Gunten pointe du doigt les aliments : « Les directives de l’Organisation mondiale sur la santé (OMS) se basent sur le fait que seuls 10 % des pesticides se retrouvent dans l’eau contre 90 % dans les aliments. » Les évaluations toxicologiques des particules s’appuient sur des expériences sur les animaux dont les résultats ne s’appliquent qu’en partie aux hommes. Dans le même temps, les répercutions des mélanges sur la santé restent inconnues rendant indispensable une concentration extrêmement faible des polluants dans l’eau potable : un point qui touche directement les citoyens souhaitant une eau potable des plus pure. D’après von Gunten, cette faible concentration agit aussi sur l’environnement aquatique ralliant ainsi la population à cette cause afin de préserver les ressources hydriques et maintenir l’eau potable pure.

Éliminer les éléments-traces

Lorsque les polluants gagnent les ressources hydriques, on peut tenter de les élimer au travers de stations d’épuration. Le mieux serait quand même qu’ils n’infiltrent pas du tout l’eau. Le passage à une agriculture bio empêcherait les substances issues de l’agriculture d’atteindre les cours d’eau. L’évacuation des polluants issus des stations d’épuration est résolue depuis 2016 en Suisse par un traitement complémentaire des eaux usées. Un procédé qui doit largement s’étendre d’ici 2050.

« Les petits fournisseurs ne disposent souvent pas de capacités suffisantes afin d’anticiper les changements à venir. »

Une dimension problématique

La Suisse n’a aucun souci à se faire pour ses quantités d’eau de demain, nous explique von Gunten : les réserves en eau suffisent amplement. Cependant pour conserver demain la même quantité et qualité de l’eau, des mesures préventives sont à prendre, car les conséquences du changement climatique se font largement ressentir. La sécheresse saisonnière et estivale défie avant tout les petits fournisseurs. Près de 90 % des 2 000 exploitations suisses approvisionnent moins de 5 000 personnes. Ainsi, selon von Gunten, des regroupements devraient se mettre en place afin d’utiliser les différentes ressources. La mise en réseau de l’infrastructure et la régionalisation, soit les régions où celle-ci est déjà en place, permettraient de résoudre les problèmes d’approvisionnement pendant les mois de sécheresse estivale.

Cette régionalisation rendrait aussi l’approvisionnement en eau plus résistant aux polluants dans l’eau potable : « On discute régulièrement de l'abandon de captages d’eau qui dépassent les concentrations maximales. Un regroupement avec un service des eaux voisin permettrait de mélanger des eaux issues de plusieurs captages moins pollués, et les maintenir de cette sorte », pointe Urs von Gunten. « Cependant cela doit rester une solution temporaire, car l’objectif premier reste d’éviter l’infiltration des substances problématiques. »

Souvent les petits fournisseurs manquent de connaissances afin de faire face aux nouveaux défis de l’approvisionnement en eau, ainsi que de l’équipement requis pour répondre à des analyses de plus en plus complexes. Les regroupements faciliteraient ainsi le maintien de l’infrastructure : « Les petits fournisseurs ne disposent souvent pas des capacités afin d’anticiper les problèmes à venir. Les regroupements permettraient d’engager des experts charger de développer une vision à long terme pour réaliser des systèmes plus grands. Cependant l’esprit d’indépendance suisse se met souvent au travers de cette idée empêchant la volonté de trouver des solutions régionales de percer », regrette Urs von Gunten.

Un sujet très émotionnel et très politique

Outre les moyens nécessaires aux investissements dans les installations, certains endroits manquent aussi d’argent pour l’entretien du réseau long de presque 90 000 km. Àses yeux, l’aménagement du territoire intercommunal et par conséquent la coordination de l’utilisation du territoire profiterait (aussi) pleinement à la protection des eaux phréatiques. Peut-être une stimulation financière aiderait à amoindrir le caractère émotionnel de la régionalisation des fournisseurs d’eau. Ainsi à Berne, le canton subventionne en partie les approvisionnements locaux et stimule dans le même temps, l’intérêt à une vision interrégionale.

Au-delà de cela, l’expert souhaiterait que le sujet de la pollution environnementale par les éléments-traces prenne une dimension plus globale. Outre l’équipement actuel des stations d’épuration afin d’éliminer les éléments-traces, il faudrait selon lui, que l’agriculture et l’industrie prennent aussi les mesures nécessaires. Ainsi nous serions capables de réduire la pollution totale à long terme.

Crédit photo: kozorog/stock.adobe.com (photo de couverture), iStock/Daniel Balakov (photo 3)

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0,1 µg/l : La concentration maximale en pesticides dans les eaux phréatiques en Suisse est régulièrement dépassée.

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> 100 000 substances chimiques sont enregistrées dans l’Union Européenne. Dont 30 000 sont utilisées quotidiennement.

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Les directives de l’Organisation mondiale sur la santé (OMS) se basent sur le fait que seuls 10 % des pesticides sont absorbés par l’eau potable et 90 % par les aliments.