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01 | 2019 LE MAGAZINE CLIENTS DE RITTMEYER Changement climatique Sécheresse et pluie – comment maîtriser ces extreêmes de plus en plus fréquents. Pénurie des ressources Récupérer une matière première précieuse depuis les eaux usées : le recyclage du phosphore. Pollution Biocides, antibiotiques et Co. : prendre des mesures à la source.

Encore mieux : éviter l’infiltration de nos eaux usées par des corps étrangers artificiels, ou du moins les réduire ! « Prendre des mesures directement à la source », voilà l’objectif déclaré. Prof Dr Michael Burkhardt montre à partir de la page 6, comment réduire les biocides issus de la lixiviation des matériaux de construction. Lors de notre entretien avec Dr Helmut Bürgmann, nous avons pris conscience d’un autre danger. L’usage abusif des antibiotiques engendre des antibiorésistances qui se répandent dans nos cours d’eau. Elles représentent ainsi une des plus grandes menaces biologiques de notre époque. « Les antibiotiques, une bombe à retardement ? » Une question à laquelle nous tenterons de répondre à partir de la page 10. À côté de cela, le changement climatique, la météo de plus en plus volatile et les habitations de plus en plus denses, posent d’importants défis à l’exploitation de l’eau. En l’absence de pronostics fiables, nous devons réfléchir à la forme future des eaux urbaines. « Nous avons besoin de nouvelles stratégies », souligne Dr Max Maurer, Directeur responsable du service de gestion des eaux urbaines à l’Eawag, l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau. Il explique à partir de la page 19, quelles peuvent être ces dernières. La régie de l’eau du lac d’Ossiach à Kärnten en Autriche, livre un exemple très impressionnant d’évacuation des eaux usées. Elle utilise des conduites forcées sous-lacustre en respectant les strictes réglementations sur la protection de l’environnement. Découvrez à partir de la page 14, comment la régie maitrise les intempéries de plus en plus extrêmes et fréquentes. La Suisse, ce « château d’eau » de l’Europe, compte des ressources précieuses. Cependant malgré la bonne qualité de notre eau, on retrouve des résidus de corps étrangers introduits par l'activité humaine. Nos stations d’épuration deviennent un point chaud de notre société actuelle. Les résidus de pesticides, médicaments ou de micro-plastiques n’ont rien à faire dans nos cours d’eau, et encore moins dans notre eau potable. Les responsables de l’assainissement et de l’approvisionnement en eau font face à ces challenges. Ils s’engagent, s’appuient sur des technologies de pointe et s’e�orcent de rétablir les circuits énergétiques et de vie des matériaux. Des e�orts parfois ignorés ou tout au moins insu�samment valorisés, car, prendre soin de nos ressources, n’est ni simple ni gratuit. Une chose qui devrait tous nous faire réfléchir. Directrice de ‹ l’Association suisse de l’industrie gazière › (ASIG), Daniela Decurtins se bat pour la reconnaissance du biogaz comme une énergie renouvelable dans le cadre de l’élargissement des lois cantonales sur l’énergie. Le gaz, une ressource clé dans l’approvisionnement énergétique, reste parfois sur la touche. Elle nous explique où le trouver à partir de la page 28. Le phosphore est lui aussi une matière première précieuse. Pourquoi ne pas le récupérer depuis nos eaux usées ? Même si à première vue, le processus semble onéreux, Dr Christian Abegglen de l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux (VSA), dresse l’état des lieux sur le sujet à partir de la page 24. L’environnement, un « objectif contradictoire » ? Une invitation à la réflexion ENTRE NOUS ENTRE NOUS 01 | 2019 2 | 3

L’hydroélectricité connaît elle aussi cette problématique. D’un côté, elle représente la technologie la plus écologique dans les régions alpines pour produire de l’électricité. De l’autre, les exploitants sont confrontés à des réglementations environnementales très strictes : réactiver le régime de charriage, assurer la migration des poissons et réduire les e�ets d'éclusées. Roger Pfammatter, Directeur de l’Association suisse pour l’aménagement des eaux (ASAE) appelle à ne pas risquer « l’atout majeur de la politique écologique suisse » lors de son entretien que vous retrouvez à partir de la page 37. Garder le bon équilibre entre la sécurité de l’approvisionnement, la rentabilité et la durabilité, voici des objectifs qui semblent contradictoires. C’est pourquoi nous devons nous interroger sur nos priorités, et ce dès aujourd’hui. Je tiens ici à féliciter tous ceux qui, à l’arrière- plan, mettent leurs compétences et leurs motivations au service de solutions, parfois encore à inventer. Nous sommes convaincus que l’environnement nous concerne tous. Nous avons donc voulu lui consacrer le premier numéro de notre magazine ‹ transfer › de cette année. J’espère que son contenu et sa nouvelle forme vous séduiront, et vous souhaite une agréable lecture. Avec tous mes remerciements, Andreas Borer CEO, Rittmeyer AG

28 37 SOMMAIRE Mentions légales transfer est le magazine clients bisannuel de Rittmeyer AG. Éditeur Rittmeyer AG Un société du groupe BRUGG Inwilerriedstrasse 57, CH - 6341 Baar www.rittmeyer.com Directeur de publication Andreas Borer Rédaction et mise en page up! consulting ag, Ruggell (FL) Email à la rédaction transfer@rittmeyer.com Crédit photo Rittmeyer AG, Jens Ellensohn (p. 2), iStock (p. 1, 5–10, 14–19, 22–25, 28–30, 34–36, 44–47), Nathalie Schöbitz, Eawag (p. 12–13), Régie de l’eau du lac d’Ossiach (p. 14–19), Régie de l’eau Altbüron (p. 42–43) Date de plublication 3 mai 2019 Mauvaise adresse ? Veuillez nous informer, si vous adresse a changé : www.rittmeyer.com/adresse Les points de vue et les avis de tierces personnes qui sont publiés dans le cadre des articles, ne correspondent pas forcément avec les points de vue et avis de Rittmeyer AG. 6 Une construction plus propre : Réduire les toxines dans les cours d’eau directement à la source 10 Antibiotiques, une bombe à retardement ? La progression des antibiorésistances. 14 Des kilomètres de conduites forcées sillonnent le lac d’Ossiach 19 L’eau : amie ou ennemie ? La gestion de demain des eaux urbaines 24 Utiliser plutôt que jeter : recycler le phosphore à partir de la boue d’épuration 31 RITUNE® power : Fonctionnement optimisé, coûts économisés 34 2100 : l’avenir de l’hydroélectricité Le changement climatique : challenges et chances L’hydroélectricité, vraiment écologique ? Des exigences poussées pour la protection des eaux Le gaz oublié ? Une source énergétique pleine de perspectives 42 Du tunnel ferroviaire au réservoir hydraulique 44 Ouvrez l’eau ! Système de mesure robuste pour vérifier les bornes hydrantes 46 Élucidé ! Campagnes de mesure pour un état limpide des canalisations EXPERTISE & ENTRETIEN APPLICATION PRODUIT & ACTUALITÉS EN BREF 01 | 2019 4 | 5

Des additifs indésirables Notre eau phréatique est une ressource vitale et très fragile – et pas seulement pendant les sécheresses estivales comme celles de l’année dernière. Avant tout dans les secteurs fortement agricoles ou à population dense, on retrouve souvent les traces de substances artificielles et durables comme les pesticides, les hydrocarbures ou les médicaments. La qualité finale de notre eau, ne tient qu’à nous ! Année après année, 130000 t de nitrate issus de l’agriculture s’infiltrent dans l’eau phréatique suisse. La teneur en nitrate est parfois nettement supérieure à l’Ordonnance sur la protection des eaux. ›25mg/l Près d’un quart des points de mesure indiquent plus de résidus de pesticides que la limite autorisée. ›10000 médicaments avec environ 3000 substances actives différentes sont utilisés dans la médecine humaine en Suisse. L’usage des médicaments vétérinaires est un peu moindre, avec 1 100 médicaments et 930 substances actives. 48% Fongicides 29% Herbicides 13% Insecticides 10% Autres Plus de la moitié des médicaments détectés dans l’eau phréatique était des antibiotiques. ›50% Pesticides vendus en 2016 : 2 157 t ›0,1 µg/l 35 t dans la médicine humaine 53 t dans la médicine vétérinaire ont été utilisés en 2013 en Suisse afin de traiter les hommes et les animaux. 88 t d’antibiotiques EN BREF Sources : Office Fédéral de l’Environnement OFEV, Office Fédéral de la statistique OFS, Eawag

EXPERTISE Réduire directement à la source les toxines dans les cours d’eau Les couleurs et les enduits qui protègent les façades des algues et champignons, contiennent des produits antimicrobiens. En se desséchant au fil du temps, ces substances polluent le sol, l’eau phréatique et les eaux de surface. Nous nous sommes entretenus avec Prof Dr Michael Burkhardt, Directeur de l’Institut en génie environnemental et des procédés de l’Université technique HSR Rapperswill, afin de savoir comment rendre ce problème visible et réduire la pollution sur les bâtiments. UNE CONSTRUCTION PLUS PROPRE, UNE NÉCESSITÉ ABSOLUE « Les mesures qui agissent à la source, soit lorsque la concentration est particulièrement forte et la quantité d’eau encore faible, sont à mes yeux très e�caces. » EXPERTISE 01 | 2019 6 | 7 transfer

Plusieurs centaines de tonnes d’additifs par an se retrouvent dans les matériaux de construction en Suisse. On estime ici 30 à 50 tonnes, la quantité de biocides issus du recouvrement des bâtiments. Les intempéries les dissolvent avec le temps, et là où l’eau de drainage est séparée, ces produits s’infiltrent directement dans l’eau courante et les lacs. Déjà en 2008, Michel Burkhardt soulignait ce problème qui trouva alors une forte résonnance dans les médias. Cependant d’autres sujets autour de la construction reprirent l’attention, car finalement, « les dégâts engendrés ici ne sont pas visibles et se limitent à des façades encrassées. » Une chose que l’on attribue volontiers à d’autres raisons qu’à la lixiviation des substances chimiques, regrette le scientifique qui s’intéresse à un développement écologique durable dans les espaces urbains. Il consacre ses recherches depuis 15 ans à la compatibilité écologique des matériaux de construction. Une réflexion en noir et blanc La surveillance des cours d’eau dans les zones urbaines se fait bien loin des sources. Lorsque des substances polluantes sont détectées, on ne parvient plus à en identifier la source. Ainsi, pourquoi ne pas chercher des solutions visant à réduire la pollution directement sur les façades. Pour Burkhardt, fabricants et consommateurs doivent assumer ici leurs responsabilités. Le dilemme : chacun veut profiter de la couleur et la protection, le tout à moindres coûts. De l’autre côté, il est indispensable de satisfaire les exigences écologiques pour lesquelles cependant personne ne veut payer. « Souvent consommateurs et artisans s’interrogent seulement si la couleur est toxique ou non? », constate Michael Burkhardt. « Cette vision en noir et blanc est beaucoup trop simpliste et n’apporte quasiment aucune solution. Il nous manque une vision globale sur les risques écologiques provoqués par certains composants des différents produits par rapport aux bénéfices fournis. » Se faire une idée plus précise et évaluer la situation On assimile souvent les ‹ biocides › à une chose négative. D’un autre côté, les « produits qui contiennent des biocides s’appellent films protecteurs, conservateurs ou désinfectants, soit des mots porteurs d’une idée positive », explique Burkhardt. Partout où de l’eau se trouve, →

www.stiftungfarbe.org zerti ziert durch certi é par Schweizer Stiftung Farbe • Fondation Suisse Couleur EXPERTISE b i L’étiquette environnementale de ‹ l’Association suisse de la peinture › : sept catégories dédiées aux consommateurs et faciles à identifier, classifient la compatibilité écologique du produit. En savoir plus : www.stiftungfarbe.org ces substances apparaissent : par exemple dans les piscines, les savons liquides, les revêtements des bateaux, les enduits protecteurs pour le bois ou encore l’hygiène des étables et écuries. Avant les solvants se chargeaient de conserver les couleurs. Après les avoir bannis et remplacés par l’eau, on fut contraint d’utiliser des biocides. Certains fabricants proposent des couleurs fortement alcalines risquant de porter atteinte à la santé de leurs utilisateurs. « Nous avons besoin ici d’une prise de conscience collective afin de trouver des solutions optimales », souhaite Burkhardt. « Nous ne pouvons pas vouloir toujours le maximum – longévité, parfaite protection, manipulation aisée, prix cassé et aucun polluant. Mieux vaut progresser en permanence à petit pas, et réussir durablement. Je suis sûr que 80% atteint rapidement valent bien mieux que 99% jamais atteints. » Vert ? Ou rouge ? L’Union suisse de l’Industrie des vernis et peintures (USVP) en coopération avec le Ministère de l’environnement ainsi qu’avec d’autres acteurs du secteur, ont développé une étiquette environnementale. Cette dernière vise à faciliter le choix pour ou contre un produit. Basée sur le principe de l’étiquette énergétique, l’étiquette environnementale comprend sept catégories. Les produits de la catégorie C par exemple, contiennent des biocides encapsulés qui assurent une longue protection et leur part de lixiviation est rapidement biodégradable. Les composants restent longtemps liés au matériau et se détachent lentement sur une période plus longue que sans encapsulation. La couleur rouge, soit la pire des catégories, regroupe les produits qui contiennent des biocides durables et non encapsulés. Ils sont ainsi les plus dangereux pour l’environnement. Le consommateur dispose en outre d’autres critères pour évaluer les risques écologiques. Encourager à changer D’après Burkhardt, les interdits n’apportent quasiment rien. C’est pourquoi il privilégie un système de récompense pour les fabricants. Les catégories vertes, soit de A à C, apparaîtront par exemple comme recommandation dans le catalogue de la réglementation ‹ Minergie- Eco ›. Ces derniers polluent le moins lors de leur fabrication, leur utilisation et leur élimination : « Chaque fabricant devrait s’efforcer de développer de tels produits et verrait en retour, sa demande augmenter dans le Aperçu du système sur la lixiviation des substances issues des composants de construction verticaux et horizontaux et des voies d’accès vers le sol et les eaux usées. Estimation 30–50 tonnes de biocides sont appliqués chaque année en Suisse sur les recouvrements des bâtiments. Sol Eaux de surface Eau sortante Eaux d’infiltration Eau phréatique 01 | 2019 8 | 9 transfer

cadre des appels d’offres. » Selon Burkhardt, le problème vient de l’absence d’évaluation sur l’interaction entre les matériaux de construction, le sol et l’eau phréatique. Pour cela, il faudrait un concept plus ferme. Son groupe met certes au point une telle méthode d’évaluation, mais à son avis, cela ne suffit pas pour atteindre un tel objectif. Une évaluation des risques simplifiée comme l’étiquette environnementale, n’est que le premier pas. Profiter des mesures à la source Les stations d’épuration ne viendront pas à bout du problème pour deux raisons, chose dont Burkhardt est convaincu : « Même si le quatrième niveau d’épuration est mis en œuvre dans les cent plus grandes stations d’épuration suisses, il en reste 600 autres au travers desquelles ces polluants regagnent les cours d’eau. De plus, les eaux pluviales des bâtiments s’infiltrent en grande partie ou coulent de manière diffuse dans les eaux de surface », soulignet-il. Les fortes pluies de plus en plus fréquentes augmentent les décharges qui gagnent directement les cours d’eau sans passer par les STEP. « Voilà pourquoi je considère les mesures qui agissent à la source, soit lorsque la concentration est particulièrement forte et la quantité d’eau encore faible, très efficaces », résume Burkhardt. « Le filtre à charbon actif au travers duquel le peintre évacue ses eaux usées, est à la fois efficace et économique. De même l’utilisation de produits dont la lixiviation des composants est moindre, représente une meilleure idée que de laisser ce problème aux différents niveaux d’épuration. » Développer des matériaux de construction à faible lixiviation exige un concept basé sur des grandeurs cibles, le tout accentuer par une forte demande. Comme l’explique le scientifique, les mesures à la source couvrent des détails architecturaux tombés dans l’oubli. Protéger les bâtiments contre les intempéries par des toits saillants n’est plus du tout réalisé. « La norme n’exige ici que quelques centimètres », constate Burkhardt. Cela ne protège plus du tout contre les intempéries, bien au contraire. Les façades ne sont pas seulement exposées à la lixiviation, mais aussi aux rayons du soleil, aux grêlons, bref à toutes les influences physiques. « La conséquence : un vieillissement précoce des matériaux et des rénovations plus fréquentes. Où se trouve ici le développement durable ? » Des Lobbyistes absents Pour le directeur de l’Institut, notre société doit relever ici un défi décisif : remédier à l’absence de lobbyistes en charge de l’environnement. « Nous n’identifions souvent pas directement les dégâts que nos traces laissent sur notre environnement. Les produits se trouvent dans l’eau mais nous ne le voyons pas. La qualité de nos lacs et de notre eau est bonne, car finalement, nos poissons ne flottent pas morts », relève Burkhardt. Selon lui, si les dégâts étaient plus conséquents, les lobbyistes au service de l’environnement seraient plus puissants. « Le côté insidieux de ce changement, je le compare volontiers avec les polémiques autour du changement climatique, nous empêche de changer profondément nos habitudes. » À terme, notre système écologique ne parviendra plus à tout compenser, car ses réserves seront épuisées. À ce moment, les hommes et l’environnement en paieront les conséquences, chose qui ne fait aucun doute pour Burkhardt. D’où son appel insistant : « Nous devons impérativement réduire encore plus nos émissions. Nous devons préserver notre environnement en évitant tout ce qui le pollue. Et ce, quel que soit le système que nous observons. « 80% atteints rapidement valent bien mieux que 99% jamais atteints »

EXPERTISE « La concentration des antibiorésistances dans les eaux usées épurées représente 10 à 1 000 fois plus la concentration ambiante dans l’environnement. » ANTIBIOTIQUES, UNE BOMBE À RETARDEMENT ? La progression des antibiorésistances EXPERTISE 01 | 2019 10 | 11

Partout dans le monde, les bactéries s’adaptent de plus en plus aux antibiotiques. Nombreux facteurs agissent ici, mais l’usage fréquent d’antibiotiques s’avère décisif dans ce phénomène. En effet, l’homme fait largement progresser cette tendance. Chaque prise d’antibiotiques augmente le nombre de bactéries résistantes dans le corps. Les bactéries qui survivent, se multiplient et prennent la place de celles éliminées. « Il s’agit en outre d’antibiorésistances multiples qui compliquent d’avantage leur traitement. Dans le même temps, le nombre de nouveaux antibiotiques arrivant sur le marché diminue. Voilà le phénomène le plus inquiétant », explique Helmut Bürgmann, Directeur du groupe de recherche en écologie microbienne à l’Eawag, l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau. Les conséquences : traiter les infections devient de plus en plus compliqué, les séjours hospitaliers durent plus longtemps et la charge financière sur le système de santé de plus en plus lourde. Des sources très diverses Les bactéries résistantes aux antibiotiques proviennent de residus d’antibiotiques issus des excréments des élevages et de l’agriculture. Ils gagnent ainsi les cours d’eau, l’eau potable et les nappes phréatiques, puis retournent vers les hommes. Les eaux usées évacuées par l’industrie pharmaceutique et les hôpitaux pèsent aussi lourdes dans cette pollution. Dans le même temps, l’assainissement des eaux usées est essentiel afin d’éviter la propagation des antibiorésistances. « Au bout du compte, tout ce qu’utilise l’homme, arrive jusqu’aux stations d’épuration », explique Dr Bürgmann. « On retrouve ici à la fois les antibiotiques consommés, et les bactéries résistantes que nous développons dans nos intestins. » L’épuration traditionnelle réalisée par les STEP, élimine tout de même plus de 95% des charges bactérielles, mais pas complètement les bactéries résistantes. → Les antibiotiques jouent un rôle crucial dans la médecine moderne. Ils servent à traiter les infections bactérielles, garantissent des interventions chirurgicales en toute sécurité et assurent la transplantation d’organes. Ils sont en outre essentiels à toute personne au système immunitaire fragilisé par la maladie. Que faire donc si un nombre croissant de bactéries résiste aux antibiotiques ? Dr Helmut Bürgmann, Directeur du groupe de recherche en écologie microbienne à l’Eawag, l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau.

Aliments & contact Contact par ex. lors d’une baignade Systèmes d'irrigation Percolation & érosion AQUIFÈRE EAUX USÉES SOL ÉLEVAGE HÔPITAUX POPULATION INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE UTILISATION DU FUMIER D’ÉPURATION STATIONS EXPERTISE Les bactéries sont en mesure de transmettre les résistances entre-elles grâce à un transfert de gènes. Elles parviennent ainsi à s’enrichir mutuellement dans les cours d’eau transformant des bactéries environnementales parfaitement inoffensives, en porteurs potentiels d’antibiorésistances. « Les antibiorésistances se modifient déjà fortement dans les stations d’épuration. Nous pensons que les conditions de vie dans les stations d’épuration favorisent le mécanisme d’enrichissement : les bactéries résistantes survivent plus facilement. Le processus d’épuration réduit certes le nombre absolu de bactéries entrées, mais le pourcentage d’un certain type de bactéries augmente à la sortie », comme Dr Bürgmann le souligne en commentant les résultats des analyses. Ce phénomène prédomine dans les STEP qui assainissent les eaux usées industrielles et celles des hôpitaux. Dans ces stations d’épuration, nous devons procéder à des analyses complémentaires afin d’évaluer les risques et proposer éventuellement des mesures pour y remédier », fait remarquer Dr Bürgmann. L’introduction de bactéries résistantes d’autres pays dans les eaux usées, notamment après des traitements médicaux dans des hôpitaux étrangers, favorise aussi le développement de nouvelles souches bactérielles résistantes. Où agir ? Depuis 2016, la loi fédérale sur la protection des eaux prévoit des mesures pour éliminer durablement les émissions des micro-organismes polluants, y compris les antibiotiques, ainsi que la pollution totale. Toutes les stations d’épuration concernées doivent mettre en place le quatrième niveau d’épuration d’ici 2035, afin d’éliminer les éléments-traces et les micro-polluants. Ces STEP épurent près de 50% des eaux usées en Suisse. Cette résolution vise à réduire d’au moins 80% de ces composants dans les charges. « La construction d’autres systèmes de barrière est une mesure préventive judicieuse, afin de réduire globalement la disponibilité des résistances. Pour ce faire, deux procédés sont possibles : la technologie membranaire et l’ozonation », résume Dr Bürgmann. La technologie membranaire – l’ultrafiltration combinée à l’absorption par charbon actif – réalise une désinfection quasi-totale des eaux usées. Les différents pores filtrants retiennent les particules jusqu’à la taille de virus. « La Les bactéries résistantes aux antibiotiques proviennent de résidus d’antibiotiques et gagnent l’environnement par divers moyens, pour finalement revenir vers l’homme. Les résistances se développent ainsi et leur évolution peut se modifier. 01 | 2019 12 | 13

Consommation AQUACULTURE EAU POTABLE technologie membranaire est idéale pour résoudre ce problème. Les installations pilotes à Lausanne et Ürikon ont montré que quasiment aucune bactérie résistante ne réapparaissait à la sortie », raconte Dr Bürgmann convaincu, tout en soulignant cependant les inconvénients énergétiques et économiques de cette solution. Le traitement par l’ozonation présente l’avantage d’une élimination efficace et économique des micro-polluants dans les eaux usées, associée à l’éradication des bactéries. « Nous n’observons ici jamais une parfaite désinfection. De faibles concentrations de bactéries persistent toujours pour lesquelles les gènes résistants ne sont pas détruits de l’ADN des bactéries par l’ozonation. Cela permet aux bactéries de continuer à transmettre ces gènes. Nous avons en outre constaté que parfois même dans les eaux usées oxydées, les bactéries résistantes se développent de nouveau pendant le traitement biologique », explique le chef des recherches en pointant les problèmes de la méthode. Repenser l’utilisation Pour Dr Bürgmann, la meilleure des protections est d’agir à la source, « Nous devons nous efforcer de réduire d’avantage leur utilisation dans l’agriculture. Mais avant tout, il est indispensable de repenser leur usage dans la médicine, en évitant de s’en servir pour des infections virales comme la grippe ou une majorité des gastroentérites. La stratégie ‹ StAR › (Stratégie antibiorésistance suisse, www.star.admin.ch) regroupe de nombreuses mesures intéressantes. » Pas de panique Contrairement aux régions mondiales où règnent de mauvaises conditions hygiéniques et de maigres réglementations pour évacuer les eaux usées industrielles et cliniques, la Suisse ne se trouve pas au pied du mur en la matière. « Nous ne voyons pas de danger imminent pour la population suisse. Les investissements de ces derniers siècles dans des standards hygiéniques ont porté leurs fruits. Les points chauds se situent d’après nous, dans des pays comme l’Inde, la Chine ou le Bangladesh. » Les analyses des eaux de baignade et potable montrèrent des bactéries résistantes nettement inférieures à la dose infectieuse : le risque d’infection avec des germes résistantes est quasiment exclu. Cependant, il ne faut pas sous-estimer les risques et l’évolution à long terme. « La tolérance zéro pour l’eau est sans doute absurde. Mais nous devons continuer à nous appliquer en vue de réduire les polluants et conserver ainsi l’excellente qualité de notre eau, voir l’améliorer », résume Dr Bürgmann pour conclure. « Les antibiorésistances sont avant tout un problème médical. Mais il ne s’arrête pas aux cliniques » Illustration : Nathalie Schöbitz, Eawag

Des kilomètres de conduites forcées sillonnent le lac d’Ossiach Lorsque des conduites transportant des eaux usées coupent un lac, cela exige d’importantes mesures de sécurité. La régie de l’eau du lac d’Ossiach en Kärnten (Autriche) raccorde neuf stations de pompage sous-marines avec la station d’épuration centrale à Villbach. La construction des conduites forcées sous-lacustres coûte certes nettement moins chère que pour des conduites terrestres, mais le fonctionnement est beaucoup plus complexe au niveau technique. ‹ Nessie › serait jaloux Sattendorf Annenheim Heiligen Gestade Lido Puits d’arrivage APPLICATION APPLICATION 01 | 2019 14 | 15 transfer

Lors de la fondation de la régie de l’eau du lac d’Ossiach (WVO), la situation était catastrophique. L’évacuation des eaux usées fécales se faisait presque sans traitement, directement dans le lac qui menaçait de se déverser. « Agir rapidement et trouver des idées pour évacuer les eaux usées autour du lac, devenait indispensable. Cette solution qui permettrait d’amener les eaux usées jusqu’à la station d’épuration centrale, devait être dans la mesure du possible économique, mais avant tout, rapide », raconte Norbert Schwarz, Directeur de la WVO. L’idée d’une conduite forcée sous le lac émergea finalement, car elle permet de couvrir rapidement une longue distance à moindres coûts comparés à une conduite terrestre. Premier point de sécurité : l’étanchéité Le fonctionnement et l’entretien de telles conduites sous-lacustres s’avèrent cependant complexes. Ces conduites doivent être parfaitement étanches et une fuite immédiatement détectée, puis réparée. « Voilà un des grands défis que nous avons dû relever », explique Norbert Schwarz. « On ne peut pas simplement sortir la conduite de l’eau. Nous avons besoin ici de gros compresseurs pour souffler de l’air et faire flotter la conduite. En fonction de l’importance de la fuite, l’air peut s’échapper et empêcher la pression de se former. Nous devons alors réparer la conduite sous l’eau, chose très compliquée suivant la profondeur du lac. » La précision, un vrai challenge La comparaison des mesures de la quantité aux stations de pompage avec celle du puit d’arrivage permet de surveiller les fuites : chose quelque peu complexe. « Les eaux usées comportent trois états : une phase comprenant un état solide, un état liquide comme de l’eau et un état gazeux avec essentiellement de l’hydrogène sulfuré », explique Norbert Schwarz. Ces conditions compliquent la mesure volumétrique car, mesurer le débit exige un calibrage pour un type précis et, dans l’idéal, avec une conduite pleine. Outre cette imprécision de mesure, le bilan entre l’arrivée et la sortie comporte une autre erreur : les eaux usées s’écoulent mais stagnent aussi dans la conduite où agissent différents processus biologiques. Trois heures sont ainsi nécessaires pour pomper et remplacer tout le volume d’une conduite forcée sous-lacustre. « La conduite ne se trouve pas complètement à plat sur le fond du lac, mais passe par des monticules et creux », décrit l’ingénieur en soulevant un autre problème. Le gaz s’accumule aux altitudes maximales et la vitesse d’écoulement diffère suivant les phases. → Steindorf Stiegl Bodensdorf Ossiach Tschöran Tiebel Sur la rive nord du lac d’Ossiach, deux chaînes de pompage à double conduites ont été installées pour six stations de pompage principales. La station Ossiach sur la rive sud, pompe vers la rive nord au travers de la conduite dédoublée. Pour assurer une décharge hydraulique, une troisième conduite part d’Ossiach vers la chaîne de pompage au sud. Deux stations équipées elles-aussi de conduites dédoublées, pompent ici vers le puits d’arrivage à l’ouest. 36 kilomètres de conduites forcées au total ont été placées dans le lac, dont les premières en 1970.

La seule mesure du débit ne suffit donc pas pour établir si la quantité d’eaux usées pompées correspond avec celle qui arrive dans le puits. Le système de conduite RITOP associe donc intelligemment les nombreuses mesures de pression aux mesures volumétriques. Lors d’une fuite, la pression à l’entrée de la conduite change, modifiant le point de déclenchement de la pompe. « Une fuite agit comme un bypass où l’eau s’échappe en chemin. La pompe ne pousse plus toutes les eaux usées au travers de la conduite et demande moins de pression », explique l’ingénieur Schwarz en décrivant le principe. Suivant l’emplacement de la fuite, les différences de pression sont minimes. « Cela demande des algorithmes intelligents pour analyser les données », s’amuse Norbert Schwarz. Un matériau robuste Les conduites sont construites en polyéthylène haute densité (PE-HD). Il s’agit d’un matériau qui reste longtemps extrêmement stable comme l’ont montré les études faites ces dernières années par le fabricant et un bureau d’étude indépendant à la demande de la WVO : « Nous avons été stupéfaits de découvrir le bon état des matières plastiques qui se trouvaient depuis plus de 40 ans dans le lac. Depuis, nous calculons une longévité d’au moins 100 ans », raconte Norbert Schwarz. Les canalisations terrestres sont normalement modernisées au plus tard au bout de 50 ans. Les sollicitations mécaniques extérieures fragilisent cependant les conduites. « Nous ne connaissons jamais la position exacte de la conduite lors de son installation », explique Norbert Schwarz. « Si les conduites rencontrent des blocs erratiques au fond du lac, cela risque de vite de se compliquer. En effet, lorsque nous mettons les pompes en marche, l’eau dans la conduite reçoit un petit choc et la conduite se déplace risquant de s’abraser. » Lors de l’extension en 2017, la WVO utilisa le plastique de pointe PE-HD ‹ RC › (Restrictive Crack) protégeant mieux les conduites contre l’abrasion mécanique. Deuxième point de sécurité : la gestion hydraulique Le deuxième challenge touche la gestion hydraulique du système de conduites du lac, où près d’1,1 millions de mètres cubes d’eaux usées par an passent par les conduites forcées. Depuis l’élargissement en 2017, tous les tronçons ont été doublés et une conduite supplémentaire placée au niveau de la rive sud. Elle décharge la « tête de APPLICATION 01 | 2019 16 | 17 transfer

l’aiguille hydraulique » de la station de pompage Tschöran, à l’est du centre du lac. Cette station sert de réserve pour les quantités transportées, qui arrivent en cascade de l’est du lac vers l’ouest en direction de la station d’épuration. « Malgré tout, les capacités hydrauliques restent limitées et nous devons éviter les mauvaises arrivées dans le réseau des eaux usées », souligne Schwarz. Grâce à la surveillance vidéo et aux tests à la fumée réguliers, la WVO essaie de détecter rapidement les fuites et éviter l’infiltration de l’eau phréatique et des eaux de surface dans les canalisations. Une chose essentielle lors de fortes pluies locales qui sont de plus en plus fréquentes et abondantes. Outre le dédoublement des conduites, la WVO modernisa la technique : toutes les pompes ont été remplacées par des pompes avec convertisseur afin d’augmenter si nécessaire, la quantité transportée en mode de surfréquence. « Bien sûr, le système prévoit des capacités supplémentaires en cas d’avarie. Cependant, si nous ne les utilisons pas intelligemment, elles seront vite épuisées », explique le directeur. « C’est pourquoi une surveillance et une commande intelligente de l’installation sont essentielles. » → 36,2km Conduite forcée posée 1,1 Mio.m3 Eaux usées annuelles 1,5m/s Vitesse d’écoulement dans la conduite 18 m de conduites en PE ont été soudés hors de l’eau afin d’obtenir un tronçon de 700 m de conduite qu’on laissa flotter jusqu’au lac depuis une rivière. Lors du passage des eaux usées dans la conduite, elle descendit alors jusqu’au fond du lac. « Identifier immédiatement une fuite et la colmater rapidement, voilà un des grands défis que nous devons relever. » Ing. Norbert Schwarz, MBA Directeur de la régie de l’eau du lac d’Ossiach (WVO)

Vidéo sur la pose La société autrichienne Felbermayr plaça les conduites. L’impressionnant travail d’ingénierie a été filmé dans une courte vidéo. Un usage réfléchi des capacités 230 stations de pompage auxiliaires dans les réseaux locaux viennent compléter les neuf stations de pompage principales des conduites forcées du lac. Toutes les commandes RIFLEX des stations principales se connectent au système de conduite RITOP dans la centrale via des fréquences radio exclusives. La centrale décide alors quelle station pompe, et quelle autre attend car les réserves suffisent. De même, elle affecte les réserves existantes. « Nous souhaitons à l’avenir intégrer les prévisions météorologiques au système de conduite. Par exemple lorsque des zones orageuses s’approchent entraînant de fortes précipitations, nous pourrions pomper depuis les installations et s’assurer ainsi des réserves dans les stations de pompage », explique Norbert Schwarz en décrivant les perspectives. Le bon choix La décision en 1970 de placer une conduite forcée sous-marine reste la bonne décision aux yeux du directeur, et ce « malgré les inconvénients existants et les exigences encore plus complexes liées au changement climatique » : de nouveaux challenges envers la surveillance et les technologies de mesure, ainsi que l’analyse du flux de données en résultant. « Pour en venir à bout, nous avons besoin de modèles mathématiques encore plus complexes », affirme sans hésitation Norbert Schwarz. « Je suis ici vraiment heureux de compter sur un partenaire de longue date avec Rittmeyer, qui connaît nos besoins et notre système afin de les mettre en œuvre. » Les tronçons de conduites sont régulièrement lestés avec des balourds en béton afin d’éviter qu’ils ne remontent en surface. www.youtube.com/ watch?v=QptjYejacmw APPLICATION | ENTRETIEN 01 | 2019 18 | 19 transfer

Le changement climatique pose un vrai challenge à la gestion des eaux urbaines. Canicule, sécheresse en hiver et avant tout fortes pluies, poussent nos systèmes d’assainissement actuels à leurs limites et les inondations augmentent. Comment maîtriser ces challenges sans mesure fiable ? « Nous avons besoin de nouvelles stratégies pour notre planification », affirme Prof Dr Max Maurer, responsable du service de gestion des eaux urbaines à l’Eawag, l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau. → La gestion de demain des eaux urbaines L’EAU : AMIE OU ENNEMIE ? INTERVIEW

ENTRETIEN Monsieur Prof Dr Maurer, d’après vous, le changement climatique va modifier la gestion des eaux urbaines. Quelle en est la raison ? Nous devons modifier la façon de planifier et d’exploiter nos installations. Nous devons ajuster nos processus afin de les rendre plus dynamiques. Nous devons aussi mieux appréhender les risques, notamment ceux liés aux fortes pluies, et voir comment rendre nos constructions et le fonctionnement des infrastructures plus souples. Certes nos ouvrages s’étendent sur plusieurs générations, mais nous devons prendre conscience de la fin de la planification éternelle. À mes yeux, nous devons ici prévoir des réserves financières afin de garantir une flexibilité future, une chose que nous ne faisons que trop peu aujourd’hui. Concrètement, que suggérez-vous ? Le changement climatique est en cours : une chose indéniable. Nous ne connaissons cependant pas exactement ses répercussions sur l’assainissement des eaux urbaines. Il nous manque ici les outils et les informations quantitatives. Les modèles climatiques quotidiens couvrent des canevas très larges. L’assainissement des eaux urbaines demande de plus petites sections, soit des valeurs toutes les 10 ou 3 minutes. Cette disparité scientifique n’est pas encore compensée. Au bout du compte, nous ne sommes actuellement pas en mesure de calculer, et nous ne devons pas nous contenter de définir un « facteur changement climatique » pour dimensionner nos infrastructures. Il nous faut donc encore plus nous orienter sur les méthodes qui nous aident à prendre des décisions basées sur les risques. La question « Que faire quand » doit se poser. Comment faire ? D’après moi, nous devons ajuster notre façon de planifier et de dimensionner. Le premier point concerne les bases de nos planifications qui s’appuient selon moi, sur des données insuffisantes, voire erronées. Nous disposons certes de bons outils et modèles, mais personne ne les vérifie. Nous nous servons d’un modèle, simulons avec ce dernier, réalisons nos prévisions et prenons des mesures en fonction, construisons des bassins pour les eaux pluviales, mais personne ne contrôle si les prévisions se réalisent. À cela s’ajoute l’inexactitude et l’imprécision des quelques données disponibles. Malgré tout, nous prenons de cette manière en Suisse, des décisions portant sur plusieurs milliards d’euros. Une chose qu’il faut changer. En bref nous construisons beaucoup mais exploitons peu. En outre nos constructions ne sont pas adaptées à nos besoins, car nous ne les connaissons pas précisément. Nous construisons simplement grand. Tant que l’argent suffit, cela peut éventuellement fonctionner. Nous avons donc besoin de données plus fiables ? Cela est un premier point. Mais pour maîtriser le changement climatique, un autre aspect, et non le moindre, joue un rôle clé : l’urbanisme. En effet, la densification avancée entraîne l’augmentation des surfaces asphaltées dans les villes. Cela affecte nettement l’assainissement des eaux urbaines et l’évacuation des eaux de pluie. Bien sûr nous pouvons construire des bassins de retenue et les clôturer : une chose peu praticable. Ils ont besoin de place et restent « Nos constructions ne sont pas adaptées à nos besoins, car nous ne les connaissons pas précisément. Nous construisons simplement grand. » Prof Dr Max Maurer, Directeur responsable du service de gestion des eaux urbaines à l’Eawag, l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau 01 | 2019 21 20 |

la majorité du temps inutilisés. Je suis un fervent défenseur du multifonction. Des possibilités de rendre ces surfaces attractives existent déjà. Elles dépassent la simple retenue et l’infiltration des eaux de pluie, et valorisent l’écologie urbaine : espaces verts attractifs, amélioration de la qualité de vie. Une telle planification doit se tenir bien en amont et de manière consciente. Connaissez-vous des exemples ? Un très bon exemple livre la première aire de jeux et d’eaux pluviales à Hambourg en Allemagne. On planifia ici sciemment un endroit qui s’inonde. Cette place retient les eaux de pluie temporairement, afin de les amener lentement vers le drainage, les eaux superficielles ou la nappe phréatique après la pluie. Le mieux dans ce système, c’est la place centrale de l’eau de pluie dans l’aire de jeux pendant sa rétention. Une autre idée est née à Rotterdam. Une grande partie des toitures accueillent des espaces verts. On créa ici des éléments rétenteurs que l’on peut exploiter. L’idée fut présentée non pas comme solution de rétention, mais comme un jardin urbain (‹ city farming ›) sur le toit afin d’améliorer la qualité de vie. Voilà ce que j’entends par multifonctionnalité : ne pas se contenter de construire un bassin de retenue, mais valoriser cette construction. Les eaux pluviales parfaitement intégrées à l’écologie urbaine – sont-elles alors nos amies ou nos ennemies ? Voilà exactement la question. Avec la densification grandissante, l’eau devient vitale. La concentration des constructions connaît ses limites et nous devons impérativement préserver les couloirs d’air dans les villes. Dans le cas contraire, la vie deviendra plus difficile. En associant ces couloirs d’air avec des espaces verts, ils desservent alors la gestion des eaux pluviales. Les couloirs d’air évaporent l’eau de pluie retenue tout en rafraîchissant. Une chose importante car les périodes de canicule ne cessent d’augmenter et se prolongent de plus en plus. Cela semble compliqué à organiser ... Je pense qu’à l’avenir nous compterons des infrastructures beaucoup plus décentralisées que nous devrons exploiter. C’est pourquoi nous avons certes besoin de technologies de →

ENTRETIEN mesure, mais surtout de solutions pour exploiter les données récoltées et traiter les milliers de signaux de mesure. Voilà le challenge que pose les infrastructures décentralisées : elles exigent une gestion intelligente. En effet, il s’agit de villes intelligentes. Mais nous ne pouvons pas les sortir tout droit d’un chapeau. À l’heure actuelle personne ne s’en sent vraiment responsable. Même si nous parvenons à résoudre tous ces points, des incertitudes persistent notamment au niveau des données liées à la pluie. Cependant, nous sommes en mesure de rendre visible ces incertitudes et donc de les quantifier. Ces dernières ne sont pas en soi le problème, mais plutôt de savoir qui décide de ce que nous voulons atteindre pour quelle part d’incertitude. Les ingénieurs évitent ici les discussions, et préfèrent planifier un dimensionnement précis. Nous devons repenser tout cela. Avons-nous besoin d’une toute nouvelle forme de planification ? D’après moi, sans aucun doute. Nous considérons trop peu la question suivante : qui évalue la sécurité par rapport à la flexibilité dans la construction et le fonctionnement ? Par exemple : une installation est prévue sur 30 ans. La question reste donc de savoir si nous la dimensionnons en nous appuyant sur les prévisions des 30 prochaines années ? Et ce, malgré toutes les incertitudes ? On bien si nous préférons planifier dans un premier temps sur dix ans, car l’évolution est relativement bien prévisible. Nous investirions donc dans des espaces libres pour une extension et un ajustement ultérieurs. Nous travaillerions selon une analyse d’options réelles. Elles considèrent que les besoins évoluent pendant la période d’investissement et prévoit les investissements complémentaires nécessaires afin de réagir à ces changements. En associant la probabilité d’une option, nous parvenons à calculer le montant de l’investissement total. Je souhaiterais que nous prenions en compte la flexibilité comme critère d’évaluation lors des planifications, d’un point de vue quantitatif comme qualitatif. Nous devrions décrire des scénarios quantifiables afin de mettre en évidence toutes les possibilités. Le mandataire pourrait alors choisir le degré de flexibilité pour lequel il est prêt à investir : cette méthodologie n’existe quasiment pas aujourd’hui. Pour cela nous devons repenser nos approches. Les décideurs doivent se faire à l’idée qu’ils ne peuvent plus construire une station d’épuration et espérer rester tranquilles les 30 prochaines années. Afin de limiter les effets des incertitudes, nous devons planifier beaucoup plus étroitement et plus fréquemment, ainsi que décider beaucoup plus souvent sur les « Une grande partie des toitures accueillent des espaces verts à Rotterdam – une idée présentée comme jardins urbains (‹ city-farming ›). On créa ici des éléments rétenteurs que l’on peut exploiter. » 01 | 2019 22 | 23

investissements à réaliser. Pour se reposer de nos jours, pendant 30 ans sur un investissement dans le secteur, nous sommes obligés de clairement surdimensionner les installations. Que faudrait-il faire ? Dans ce contexte, il serait préférable que les décideurs deviennent des visionnaires lors de la planification, et soient prêts à en payer le prix. J’entends ici que des scénarios soigneusement réfléchis associés à la planification en résultant, apporteraient déjà de grands progrès. Pour ce faire, la planification et les prestations prévues par les concepteurs devront être rédigées beaucoup plus précisément. En résumé : quelles sont les perspectives qui se dessinent ou devraient s’amorcer ? Nous allons sortir des structures existantes. L’assainissement des eaux urbaines de demain ne doit pas se limiter à la seule mise en œuvre du plan général d’assainissement. Nous devons débattre en amont et de manière interdisciplinaire. Nombreux sujets et approches s’ouvrent à nous. Nous connaissons cependant ici encore des difficultés. C’est pourquoi, nous devons nous reconcentrer sur ce qu’il se fait déjà. Un petit nombre d’exploitants influents sont prêts à passer « à l’étape suivante. » Ces pionniers sont capables de faire vraiment bouger les choses. Visionnaires, ils voient les possibilités émergées et sont disposés à les tester : par exemple, ils imaginent les canalisations et la station d’épuration comme système global et complet, les planifient et les exploitent en les intégrant telles quelles ou encore ils montrent dans leurs exploitations que cela fonctionne mieux qu’avant. Ces modèles phares sont mon principal argument : regardez, ça fonctionne déjà ! Ce n’est pas si difficile que cela ! Et on y gagne aussi ! Ces exemples réussis sont la clé du changement. Monsieur Prof Dr Maurer, merci beaucoup pour cet entretien. « Pour faire face aux incertitudes dans la planification, nous devons être prêts à débattre des risques. »

EXPERTISE 1er janvier 2026 – une date que les stations d’épuration (STEP) et les incinérateurs à boues doivent retenir. À partir de là, la récupération du phosphore depuis la boue d’épuration et les eaux usées passe obligatoire. Elle pose un grand nombre de questions : quelle quantité doit-être récupérée ? Quelles solutions techniques ? Et : qui va en payer la facture ? UTILISER PLUTÔT QUE JETER Recycler le phosphore à partir des boues d’épuration EXPERTISE 01 | 2019 24 | 25

4200 tonnes d’engrais à base de phosphore importées en Suisse (2015) 8300 tonnes de phosphore dans les aliments et le fourrage importées en Suisse (2015) 6500 tonnes de phosphore gagnent les eaux usées depuis les excréments. 6000 tonnes Aujourd’hui le phosphore présent dans la boue d’épuration se perd dans les décharges de boues d’épuration et les cimenteries. Un approvisionnement fiable en matière première La Suisse importe chaque année des milliers de tonnes d’engrais à base de phosphore dédiés à l’agriculture, et ce depuis des pays aux conditions écologiques et sociales parfois très douteuses. « Nous dépendons de l’étranger. De plus, les engrais contiennent en partie des substances problématiques comme l’uranium et le cadmium », résume Dr Christian Abegglen les défis d’aujourd’hui. Il dirige le ‹ Centre de compétences de l’épuration des eaux › de l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux (VSA). La Suisse pourrait couvrir ses besoins en phosphore en refermant le cycle de transformation de cette matière. L’ordonnance sur la limitation et l’élimination des déchets (OLED) prévoit la récupération du phosphore à partir des eaux usées et des boues d’épuration à compter du 1er janvier 2026. Les fertilisants récupérés ainsi servent ensuite à produire des engrais recyclés – le tout sans métaux lourds et indépendamment des cours incertains à l’étranger. La boue d’épuration est aujourd’hui incinérée. Une grande partie du phosphore précieux finie en cendres dans les décharges, et le reste est lié au ciment pour la construction des bâtiments. « L’objectif est clair, mais la feuille de route encore inconnue. » Dr Christian Abegglen, Directeur du ‹ Centre de compétences de l’épuration des eaux ›, Association suisse des professionnels de la protection des eaux (VSA) → Source : Document de synthèse de l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux VSA (novembre 2018)

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